J. F. Bory: Abracadada
by Gérard-Georges Lemaire
Ce long poème est le comble de l’avant-garde (pour sa mise en page, pour l’usage de caractères et de signes des genres les plus divers, pour sa fragmentation, pour son esprit décapant et j’en passe). Mais c’est également le comble de la dérision des avant-gardes, qu’il qualifie au début de dogmes et de dictatures. Voilà un poète bien ambivalent. C’est même sa raison d’être ! Mais ce qui passe aujourd’hui pour de l’avant-gardisme n’est qu’une refonte de ce passé déjà centenaire !
D’où la vision dérisoire que notre auteur lui attribue tout en jouant sur tous ses registres. Jean-François Bory est sans le moindre doute l’un des poètes les plus originaux de sa génération. Pour s’en convaincre il suffit de lire cet Abracadada où cet apôtre de la religion née avec le futurisme, le dadaïsme, le surréalisme, le cannibalisme et que sais-je encore, s’amuse avec tout ce que ce passé rageur et tapageur lui a légué en héritage et a su en faire encore autre chose, qui donne un je ne sais quoi de neuf, d’inattendu, de sacrilège, à cette épiphanie en langues du monde entier (on y parle japonais et italien, et pas seulement). Marinetti, Tzara, Ezra Pound, une foule de poètes ont contribué à ce melting pot poétique. Mais il n’y a au bout du compte qu’une voix qui domine toutes les autres, la sienne, inimitable, d’une drôlerie irrésistible et plein d’arrière-pensée sur l’avant pensée (des médisances, des plaisanteries de Gavroche de la noble poésie ultramoderne) des néo avant-gardes de tous poils. Être ou ne pas être tout à la fois, telle reste la question de ce que nous faisons là, anciens et modernes, en même temps, par définition, comme par punition.