Works
by Élodie Rougeaux-Léaux

 

Je puise dans le registre du dicton, de l’expression, de la phrase toute faite. Celle dont on ne comprends plus vraiment le sens, celle qui s’est déplacée, qui est devenue populaire et banale, celle qui cache pourtant plusieurs sens. Mes oeuvres plastiques explorent une forme de sémiologie naïve.

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Èstre bête, 2022 (hybridation provencal-français) tenture ou cape laine de mourerous brute feutrée à la main, 2,10 x 1,20 m

« Èstre bête » vient d’une expression « être bête » en français qui signifie « être idiot, stupide ». L’expression date de la fin du XVIIIe siècle, ici on utilise l’adjectif « bête » pour qualifier une personne de niaise, idiote. Bête s’avère être un synonyme du mot « animal » donc ce qui est différent de l’humain et qui a moins de valeur.

Ici « èstre » signifie le verbe « être » en provencal, la langue parlée dans le sud de la France avant que le français ne soit imposé comme langue officielle. Cette association des deux langues est une tentative de traduction mais également une démonstration de l’impossibilité de la traduire en gardant le double sens qu’elle a en français. (J’ai tenté ici de traduire cette expression française « être bête » en provençal en conservant le double sens du mot « bête ». Je me suis rendue compte qu’il était impossible en provençal de traduire cette expression en gardant le double sens car « bête » ne signifie pas stupide.) Cette simple tentative de traduction impossible met en lumière le changement de paradigme au XVIIIe, siècle des Lumières où le discours scientifique a impacté la société jusque dans ses relations au monde animal, à l’élevage et aux rapports sensibles que l’être humain entretenait avec le monde non humain. À travers cette simple expression, on peut imaginer la dévalorisation du monde animal qui a été effectuée à cette époque, où l’animal non humain a été dépossédé de ses émotions et de son intelligence. On remarque alors que dans la langue poétique qu’est le provencal, une langue plus ancienne également et rurale, cette association d’idée n’existait pas.

 

 

FollowMe, tissage sur métier à tisser manuel, coton, laine, 80×50 cm, 2019

#ME#CUTE#FOLLOMWE #IMAFRAIDTODIE#LOVE #TBT#PICOFTHEDAY#ART# IFEELALONE#HAPPY #SMILE#REALLYALONE #FOOD#CAT#LIKEFORLIKE #IMANGRYATMYSELF #REPOST#FUCKYOU#LOL

statement : FollowMe est une tentative d’imprimer le temps, c’est une réflexion sur la fabrication d’une image à l’heure du numérique à travers le langage, notamment celui puisé d’instagram. J’inscris points par points, passages après passage, dans ma matrice en cotton les mots vides de sens qui ne servent qu’à référencer une bibliothèque d’images trouvés sur instagram. Les mots qui seulement décrivent ce qui est déjà sous nos yeux, les mots qui n’amènent pas ailleurs. Il s’agit d’une combinaison des mots les plus populaires utilisé par les utilisateurs d’instagram mélangés à des états d’âmes qui me traversaient à ce moment là et qui ne sont souvent pas ceux que l’on partage sur les réseaux sociaux, ceux qui sont plus négatifs. Il était intéressant de remarquer que le champs lexical utilisé appartient au registre du bonheur ou à des phrases propres à instagram qui ne servent qu’à attirer plus de followers. Ces mots qui ne sont pas connectés les uns avec les autres deviennent une sorte de poème absurde quasi publicitaire sans réel objet qui traduisent un mélange d’intime et de public.

 

 

Photo David GIANCATARINA

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