Premier poème jazz
by Serge Pey
EHEUOM à incendie
A DINA WASHINGTON
ET A CHET BAKER
en écoute simultanée
Qu’il s’agit de ne rien faire du tout en le faisant en sachant que c’est pire que si on faisait quelque chose Que si tu vois des ongles pousser sur les mains des statues coupe les avec un couteau sinon elles te grifferont Qu’une chemise tachée de sang ne sera jamais un drapeau mais un pansement Que j’ai des dents qui poussent dans ma voix Que nous enterrons Superman en marchant à reculons sur l’autoroute Que les aigles organisent des concours de cerfs-volants dans les hôpitaux Que les âmes ont des os que rongent des chiens dressés pour cela Que nous arrivons dans certains poèmes dans un blindé de plume Que les mouches à incendie de nos pompiers jettent du sang sur les brasiers Que nous arrosons les mots en même temps que les morts Que sur les billards les chevaux la gueule ouverte ont remplacé les trous Que la poésie est un tuyau d’échappement Que la poésie est un luxe dangereux pour certains mots qui préfèrent la pauvreté Que de la fumée sort de ta bouche tellement tes dents sont habituées à faire du feu Que nous faisons brûler les ailes de Peter Pan pour qu’il devienne la Pierre totale de la philosophie Que si nous mettons les mots à rebours c’est pour que les morts avancent à contre-sens Que les poèmes mangent des glaces brûlantes sans se brûler Que des terroristes ont pris en otage des poètes dans un poème à cinq étoiles Que dans le dernier match de la coupe du monde de foot les spectateurs ont voulu crever le ballon dans le ventre d’une femme Que je suis un poème jetable comme un kleenex Qu’il faut organiser des attentats contre la police des poètes Que nous allons canoniser tous les chiens victimes des étoiles Que si tu vas au cirque remplace les nains dans la bouche du canon Qu’une trompette n’est heureuse que quand on y souffle dedans Que dans le camion frigorifique nous avons conservé dix mille photos de taureaux Que la poésie ne termine jamais ses phrases comme si elle ne savait pas où aller Que le feu défèque dans les cendriers sa propre fumée Que dire la vérité dans un poème c’est se tromper de vérité Qu’aujourd’hui on peut déceler les taches de sang d’un poème avec une lumière ultra-violette Que nous devons tous les soirs faire pisser les saxos comme l’on fait pisser les chiens Que la folie se mérite dans les ascenseurs Que nous dévalons une montagne incomplète avec une autre montagne qui n’a pas de freins Que les statues de la poésie allaitent les singes avec des seins de plâtre Que nous cherchons la contradiction dans les poèmes Que nous sommes des anges qui rendons visite à nos enfants qui ont déjà mille ans Que nous interrogeons les facteurs sur les contenus des lettres Que nous achetons des rouge à lèvres pour des poupées de ciment Qu’une bombe tourne dans le ciel pour faire exploser une autre bombe Que nous cachons nos noms dans des pots de fleurs Qu’au Caire trois archéologues ont éventré une momie Que l’armée jadis torturait les prisonniers en leur insufflant du Coca-Cola dans les narines Que nous faisons bouillir nos grand-mères dans des marmites Que les poèmes portent des bracelets électroniques car il n’y a plus de place dans les prisons Que les morts meurent de trop rire et c’est cela qu’on appelle l’enfer Qu’un boxeur quand il a faim mange son gant Que nous soignons un corbeau pour le vendre aux enchères Qu’il faut écrire avec de l’eau sur le trottoir et regarder le poème qui restera quand il va sécher Qu’un astronome est quelqu’un qui étudie le suicide des étoiles Que Jésus avec sa couronne d’épine crève les pneus des vélos Que l’infini s’arrête parfois d’être infini pour se regarder une seule fois Que le rêve d’un aquarium est de devenir un poisson rouge Que les cordes des contrebasses sont des pièges à oiseaux Que la poésie invente des détails qui soudain deviennent général contre tout ce qui est général Que la poésie parfois éclate de rire devant les habitudes de la poésie Que parfois un poème est l’excuse d’un seul mot Que le prix international de poésie clandestine vient d’être décrété Que les trains sont la guillotine des suicidés Qu’on donne des bananes à bouffer aux épouvantails Que chaque matin la poésie déshabille le temps Qu’elle le met à nu jusqu’au dernier vêtement qui lui colle à la peau Que l’antipoésie est un vaccin qui sauve la poésie Que tu entends un vieux cheval hennir enfermé dans un buvard de boucherie Que dans le ciel les oiseaux se saoulent en descendant des bouteilles de rhum
Etc. poème à compléter à l’infini
par ceux ou celles en train de le lire