Reconstruction des troubles du chaos
by Abdellah El Haitout
Salé 2016
texte traduit par Mounir Serhani

 

(…) Durant toute cette période, je m’emprisonnais, je peignais uniquement dans ma tête, je ne précipitais pas la peinture, mais je devais attendre jusqu’à ce que le tableau mûrisse dans mon for intérieur… qu’il murisse comme un fruit ayant pris son temps suffisant à la perfection.
Je passais un long moment devant mon tableau, impuissant et servile dans un grand dilemme, je ne savais ni ce que je devais garder ni je devais démolir, à tel point que je criais parfois, tout seul : je ne sais rien moi.
Hormis ceci, o mon ami, la peinture est un fragment de supplice.
Je tendais vers le primitif afin d’atteindre la beauté pure. Je mettais délibérément dans mon tableau des choses que je ne visais guère en elles-mêmes, mais je les ai mises pour des fins purement visuelles.
Je tente de peindre la marge et y bâtir mon propre univers plastique, en tant que destruction et préalablement utilisée. Dans la marge, il y la rareté, le peu et la cruauté. J’ai essayé de commencer là ont fini ceux que j’aime ; je ne sais si je l’ai réussi ou pas.
Le peintre a besoin d’un répertoire d’innocence et de spontanéité, comme les enfants, d’autant de pureté mentale que les soufis éminents. Ainsi, je me trouve rêveur d’un atelier dans les montagnes, là où règnent le vide, la quiétude, la pureté et la vue lointaine. J’ai besoin de ce retrait glorieux, je peins la journée et lis à la tombée du soi, sous la lumière des bougies et le bruissement du vent.
Ce qui me fascine dans le collage c’est ces possibilités qu’il offre de manière généreuse. Coller des choses fragiles ou travailler sur des supports négligés. J’aime ce choix exposé à la disparition car il m’aide à refléter mon regard sur ce que le réel renferme de fragile. Je me vois attiré, comme par magnétisme secret et étrange, par cette réflexion sur tout ce qui est fragile, pauvre, rapidement « cassable » et voué à la disparition.
J’aime travailler sur le papier déjà écrit. Cet arrière-plan qui appartient à une vie antérieure me semble comme une épreuve mise devant moi face à une composante réelle n’étant pas neutre que je dois manier et modeler en ma faveur et, plus encore, faire émerger son essence. En plus de l’expression chromatique et de la touche indicative, j’aime le défi que soulève le collage ainsi que les potentialités qu’il m’ouvre. Je crois qu’un tel choix m’inspire énormément de risque et d’aventure. Parce que je ne peux imaginer l’art plastique sans aventure et sans empirisme de toutes les possibilités disponibles, voire inaccessibles, avec tout ceci exige quant aux subterfuges et ruses nécessaires. Suivant cette conception, je considère que le peintre est un grand dupeur et turbulent doux déclarant sa guerre noble pérenne aux notions fondatrices du monde et des choses.
Je ne peins pas à partir d’une technique mais d’une conception, je préfère le mot « conception » à celui d’explication. Je n’ai la moindre explication de ce que je fais, mais une pure conception.
Je me considère comme le fruit de l’imaginaire d’une culture bédouine. J’essaie d’être simple et laconique. J’aime ce mouvement sur la surface, celle du tableau. Si elle n’existait pas, je la créerais ou du moins je la resquillerais. De surcroit, la technique du voilement et du dévoilement participe du cœur de ma culture champêtre. Je proviens de la culture du trésor et l’ensevelissement sous la terre. Selon cette conception, je considère le thème du voilement et du dévoilement afin de montrer une transparence donnée, cette notion à laquelle j’aspire, à travers cette voie non pavée regorgeant de mythes et de mystères…
Ce que nous voyons pendant notre enfance nous conduit jusqu’à la fin. Je suis le prisonnier des icones de l’enfance ; mon enfance continue encore à me guider tout le temps. Je me positionne derrière son registre visuel. Ce qui est resté gravé dans ma mémoire me fascine et je ne peux dissimuler et emmagasiner ce qu’elle m’invente comme inconvénients que dans l’enceinte du tableau. De même, les objets perchés aux murs me charment au même titre que cette peinture me captivant, à savoir celle qui éteint les ruines de la parole.
L’artiste est l’enfant de son lieu. Que tu sois un enfant habitant un village isolé, tu dois fabriquer ton jouet toi-même et que tu crées ton propre monde. C’est peut-être ce monde que je tente d’attraper et de ressusciter dans chaque nouveau travail, c’est-à-dire que je joue en peignant et peins en jouant…
Sans Titre
Je ne me préoccupe point du titre et ne pense aucunement au style. Le thème est, pour moi, un prétexte à la peinture, pas plus, une ruse ou un motif pour peindre ou dessiner. Je contemple longuement la nature et j’essaie d’apprendre de son silence horrible. J’essaie d’être simple et laconique. J’aime ces indications secrètes sur les toits des portes et des murs. J’ai trouvé dans les murs une simplicité, une liberté et beaucoup de spontanéité.
L’abstrait m’a permis de changer mon regard envers les choses, de penser avec plus de liberté. Je ne suis un artiste de l’abstrait au sens complet du terme et nul peintre n’est ainsi, car il faut du dessin et du graphisme. Si la figuration s’intéresse à l’apparence, la figuration ne s’arrête pas à la superficie mais elle plonge dans le fond. Je me considère, ne serait-ce que dans ce sens, un peintre de l’abstrait, car c’est dans le fond que réside la beauté…

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