Kaspar de pierre, statement
by Laure Gauthier
kaspar de pierre (La lettre volée, 2017)
Descriptif
kaspar de pierre (La lettre volée, 2017) est un récit poétique qui donne voix à Kaspar Hauser, l’enfant trouvé, mystérieusement arrivé en 1828 aux portes de Nuremberg après 17 ans de captivité. J’ai situé ce récit dans la tache aveugle des archives, là où rien n’est acté, en inventant des espaces-temps « entre les faits » archivés par la chronique, là où c’est sourd et muet. Un hors-champ qui frôle le champ de l’histoire.
Tandis que la plupart des textes théâtraux, cinématographiques ou poétiques écrits à partir de l’histoire de l’enfant trouvé présentent Kaspar Hauser dans la ville de Nuremberg, j’ai choisi de le faire marcher entre le cachot et la ville pour garder cette forcé kinesthésique et le mouvement d’écrire. Kaspar Hauser est à la fois un cas de maltraitance que les poètes, de Verlaine à Trakl, ont mis en vers et l’un des premiers cas de faits divers ayant attiré la curiosité de l’Europe bourgeoise ; il se trouve donc être une image source de notre société bourgeoise tardive, empêtrée dans les gros-titres, le sensationnalisme et le positivisme. Celui qu’on a surnommé « l’enfant de l’Europe » car toute l’Europe s’est passionnée pour son cas, est un enfant « placard ». Le texte se construit au rythme du « tempo de la pensée », se créent des alvéoles, des espaces intacts où respirer, qui se répètent et se défont en fonction de la menace. kaspar habite des maisons de langage éphémère : marche, maison (1, 2, 3), abandon (1, 2, 3), diagnostics (1, 2), rues 1. Ces situations le construisent et redistribuent la langue, la syntaxe, autrement.
Je conçois Kaspar Hauser comme un autre Woyzek et me suis interrogée sur les raisons pour lesquelles ce premier fait divers ayant défrayé la chronique des journaux européens inspire poètes, dramaturges et romanciers et non les cinéastes et les compositeurs. La maltraitance et l’enfance séviciée semblent inaudibles voire irregardables. Quelle question inaudible nous pose Kaspar ? Est-il condamné à être une figure idéale du poète ou un fait-divers ? Kaspar Hauser comme le soldat devenu meurtrier Woyzeck sont des images de notre société moderne tardive dont il préfigure certains traits, pour Kaspar : la soif de gros-titres, la complaisance envers la maltraitance et l’iconisation de l’individu.
Le pronom personnel est une marque blanche dans le texte, un silence, qui permet d’entendre le vent « entre les mots », de ressaisir le mouvement de la langue en faisant garrot à l’épanchement. Parfois kaspar formule un « j » ou un « jl » un pronom entre « je » et « il ». Pourtant cette langue réinventée ne cherche pas à imiter le handicap. Il s’agit plutôt d’une marche kinesthésique, avec un mouvement de balancier entre des moments où la parole adhère au trauma et d’autres où la subjectivité de kaspar est tenue à distance, coup de rame dans le texte. La voix de kaspar fonctionne comme une sorte d’entaille ouverte d’où ce « je » effacé parle en « mode travelling », comme à côté de soi, se conçoit lui-même comme un des premiers faits-divers de l’Europe bourgeoise. C’est cette présence de l’origine en tant qu’elle s’absente et se dérobe en permanence, en ce qu’elle est le centre blanc, qui troue le texte. kaspar constate lui-même qu’il n’a pas inspiré les plasticiens. À la différence de saint Sébastien dont la représentation de la souffrance est érotisée. Mais les enfants séviciés font couler l’encre, pas les pinceaux.
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